Expertise comptable : où sont les femmes ? 

Expert-comptable, commissaire aux comptes, coprésidente de l'Afec
Expert-comptable, coprésidente de l'Afec

En France, les hommes restent surreprésentés parmi les hauts salaires : ils représentent 91 % des salariés les mieux rémunérés. Cela signifie-t-il que la place des femmes en entreprise ne progresse pas ? Analyse et retour sur l’atelier « Quand les entreprises s’engagent pour les femmes : opportunité ou effet de mode ? »

Sur 100 élèves stagiaires, 50 sont des femmes souhaitant accéder au diplôme d’expert-comptable. Nous pouvons nous féliciter que la parité soit au rendez-vous, que notre métier, exigeant, attire tout autant les femmes que les hommes. Mais l’enthousiasme s’arrête là. Si l’on s’attarde sur les dernières données chiffrées, seules 30 % des lauréates s’inscriront à l’Ordre des experts-comptables. Les femmes diplômées font d’autres choix que celui de s’installer à leur compte ou en association. Elles privilégient les fonctions de comptable en entreprise, de directeur administratif et financier, de salariée en cabinet, mais renoncent à s’inscrire au tableau de l’Ordre des experts-comptables pour embrasser la fonction de dirigeante ou d’associée d’un cabinet. Elles n’ont d’ailleurs parfois pas le choix. 

Nous pourrions aisément accepter cette situation si elle relevait d’un choix libre, s’il n’existait pas de facteurs endogènes ou exogènes conduisant à une telle disparité au sein de la profession. Las, les femmes experts-comptables ne font pas figure d’exceptions dans la société.  

Fin 2019, les femmes représentaient 21 % des 264 000 dirigeants salariés et 39 % des 3 066 000 non‑salariés (à la tête de leur propre entreprise). Parmi ces derniers, les femmes représentaient 26 % des gérants majoritaires de société, 42 % des micro‑entrepreneurs et 45 % des entrepreneurs individuels selon l’Insee 1.

Une comparaison avec le notariat

« En 2008, les hommes représentaient encore 72 % des notaires » 2. La profession était historiquement accessible par le biais de l’apprentissage au sein d’une étude et de la cooptation. Les années 1970 ont constitué une rupture en permettant l’accès au titre grâce au diplôme. Elle s’est ainsi féminisée. En 2020, sur 15 900 notaires français, 53 % étaient des femmes selon le Conseil supérieur du notariat (CSN). La féminisation poursuit son accélération : en 2020, les femmes représentaient 72 % des 827 jeunes diplômés. 

Pourquoi les femmes experts-comptables sont-elles aussi peu nombreuses à exercer ? 

La comparaison avec la profession d’expert-comptable est parlante. Alors pourquoi celle-ci compte-t-elle aussi peu de femmes inscrites à l’Ordre ?  

Deux facteurs majeurs peuvent être invoqués : le manque de confiance en elles, et la persistance de stéréotypes.

Femmes experts-comptables : les chiffres clefs (2020)

• 44 % des experts-comptables stagiaires et 45 % des experts-comptables mémorialistes sont des femmes. 

• 30 % des experts-comptables inscrits au tableau de l’Ordre sont des femmes. 

• + 5 points par rapport à 2015 (6 234 sur 20 782 experts-comptables). 

• Deux tiers des femmes diplômées n’exercent pas dans le monde libéral et se dirigent vers un poste en entreprise.

Le syndrome de l’imposteur 

Cette expression décrit un sentiment d’insécurité injustifié qui a été étudié pour la première fois par la psychologue Pauline Rose Clance après avoir remarqué que beaucoup de ses patients non diplômés avaient renoncé à faire des études supérieures, car ils ne croyaient pas mériter leur place à l’université, et ce, en dépit de leurs bonnes notes. 

En 1978, avec l’aide de la psychologue Suzanne A. Imes, elle mena des travaux de recherche sur 150 femmes qui minoraient leurs succès professionnels en les faisant reposer sur la chance alors qu’elles affichaient d’excellents résultats scolaires et une reconnaissance de leurs qualités professionnelles de la part de leurs collègues. C’est ce dénigrement de leur propre intelligence et de leurs capacités que Pauline Rose Clance et Suzanne A. Imes ont appelé le syndrome de l’imposteur.

Il nous semble important d’agir auprès des femmes qui exercent nos professions pour leur faire prendre conscience de l’existence de ce syndrome et ainsi de leur donner les moyens de le dépasser. Le droit à l’ambition doit devenir une réalité chez nos consœurs.   

Au-delà du manque de confiance en soi largement répandu chez les femmes, il existe également d’autres facteurs qui les empêchent d’accéder aux responsabilités, notamment la persistance de stéréotypes. 

Les stéréotypes de genre ont la vie dure 3 

Au sein de tous les groupes sociaux et à toutes les époques, la première différenciation qui s’opère entre les êtres humains est invariablement liée aux caractéristiques des deux sexes. Certes, le contexte culturel et les évolutions qu’ont pu connaître les sociétés permettent des modulations voire des atténuations, mais malheureusement les stéréotypes de genre restent omniprésents et s’expriment de diverses façons. 

D’un point de vue lexical, le stéréotype est défini par le dictionnaire Le Robert comme une « opinion toute faite réduisant les particularités ». Un groupe est ainsi caractérisé selon les attentes majoritaires ou émanant d’un autre groupe et sur les jugements de routine que la société produit. L’individu n’existe donc pas dans ce schéma puisqu’il est ramené à son appartenance à un groupe et que toutes les caractéristiques supposées de ce dernier lui sont attribuées. On attend donc de la part de l’individu concerné un comportement et des aptitudes précises. L’objectivité importe peu en matière de stéréotypes, ils résultent d’images construites dans l’inconscient collectif et intériorisées par un certain nombre d’individus concernant un groupe de personnes.

De fait, en raison de la différence biologique évidente entre hommes et femmes, les stéréotypes de genre sont à la fois les plus anciens et les plus répandus, à tel point qu’ils paraissent anodins, alors qu’ils assignent « à résidence génétique » plus de 50 % de la population mondiale. Leur omniprésence a des conséquences claires sur le devenir des individus tant dans la sphère professionnelle que dans la vie familiale. Garçons et filles sont destinés à exercer des fonctions différentes qui sont déterminées par le remplacement d’un chromosome X par un chromosome Y. 

Si la spécialisation sexuelle induite par ces stéréotypes pose problème, c’est en raison de l’hyper-valorisation du masculin par rapport au féminin. Les qualités prêtées au second tendent à le conforter dans des rôles domestiques.

Les lois adoptées dans les démocraties occidentales en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes n’ont qu’une efficacité relative en raison des résistances induites par les stéréotypes dans l’inconscient collectif. Ce dernier est façonné dès la petite enfance puis lors de la scolarité. En effet, les adultes transmettent un certain nombre de stéréotypes aux enfants, y compris dans le milieu éducatif. La façon dont ils s’adressent à eux, le ton et le vocabulaire utilisés, comptent autant que la structuration démographique de ces métiers du soin et de l’éducation où les femmes sont surreprésentées. La valorisation du masculin s’y trouve renforcée dans les œuvres étudiées, dans les activités qu’on propose aux enfants et dans ce qu’on attend d’eux. Aux garçons les compétences mathématiques et spatiales et les sports collectifs, aux filles l’expression de leurs émotions et de leur créativité et les sports individuels.  

Ainsi, les garçons sont préparés, dès la petite enfance, à évoluer dans un système complexe et tourné vers autrui alors qu’on incite les filles à l’introspection et au bonheur domestique. 

Ces stéréotypes ont des conséquences sur la vie d’adulte. L’influence sur les trajectoires individuelles se ressent fortement, créant ainsi une inégalité fondamentale qui contrevient aux intérêts de la société dans son ensemble. 

On retrouve ici la question de la confiance en soi et un facteur explicatif du plafond de verre qui demeure pour les femmes dans le monde professionnel.

Le plafond de verre 

La notion de plafond de verre apparaît à la fin des années 1970 aux États-Unis, mais c’est grâce à un article du Wall Street Journal, sous la plume de Carol Hymowitz et de Timothy D. Schellhardt 4, que le grand public prend conscience de cette barrière invisible qui sépare les femmes des postes à responsabilité. De fait, on constate que les femmes sont moins souvent promues que leurs collègues masculins, et ce, dans toutes les catégories sociales. D’autre part, elles sont particulièrement pénalisées avant l’âge de 35 ans, c’est-à-dire pendant la période où elles sont susceptibles d’avoir des enfants.

Quelles sont les actions à mener ? 

Deux leviers peuvent être actionnés : agir sur les femmes elles-mêmes, et agir sur les organisations et leurs dirigeants. 

Rejoindre le réseau des femmes experts-comptables :  l’Afec

Les femmes peuvent en effet prendre la question de leur leadership en main. 

Conscientes de la nécessité de s’organiser pour faire face à cette sous-représentation des femmes dans le métier, un collectif d’élues de la profession des femmes a créé l’Association femmes experts-comptables (Afec) en 2010 avec le soutien de l’Ordre des experts-comptables. L’association veut relever plusieurs défis majeurs :  

• renforcer l’attractivité du métier d’expert-comptable auprès des femmes, défendre la féminisation de la profession et la parité dans les instances professionnelles ;

• œuvrer pour la parité dans la gouvernance des entreprises, contribuer à atteindre les objectifs relatifs à la présence des femmes dans les conseils d’administration et dans les autres organes de gouvernance ;

• promouvoir la parité comme levier économique et enjeu de responsabilité sociale et sociétale des entreprises.

L’Afec est l’occasion pour les femmes de la profession d’intégrer un réseau. Des rencontres sont organisées dans toutes les régions pour faciliter les échanges entre les adhérentes qui peuvent ainsi, dans un espace de sororité, partager leurs expériences respectives. 

Au-delà de l’appartenance à un réseau, l’Afec offre la possibilité à ses adhérentes de développer leur leadership en participant à des formations : équilibre de vie, management, gestion du stress, négociations… Les adhérentes ont également la possibilité d’intégrer un système de mentorat : des femmes experts-comptables expérimentées prêtent main-forte à leurs consœurs en partageant leurs expériences et/ou en les conseillant.  

La charte de gouvernance de l’égalité professionnelle pour renforcer la performance

Il a été convenu que, pour des raisons de croissance durable et de performance éthique, la profession aurait intérêt à soutenir une orientation vers des mesures de nature à concourir à une gouvernance efficiente quant à la valorisation du capital humain dans les cabinets, dans toutes ses composantes, notamment le capital féminin, dans une perspective d’égalité professionnelle. Pour ce faire, une charte de bonnes pratiques de gouvernance d’égalité professionnelle par la valorisation du capital humain a été élaborée. Il s’agit d’un texte d’engagement libre et volontaire, proposé à la signature des cabinets qui décident d’œuvrer de façon formalisée et visible en faveur de l’égalité professionnelle par la valorisation de toutes les composantes du capital humain, y compris le capital féminin, reconnue comme une opportunité de croissance durable et de performance. 

Sensibiliser et former les collaborateurs et collaboratrices 

Les cabinets d’expertise comptable peuvent également se saisir de cette question et s’engager à renforcer l’égalité réelle entre les hommes et les femmes. 

Des programmes de sensibilisation et de formation peuvent être mis en place pour, d’une part, éveiller les consciences des cadres masculins à l’existence de stéréotypes et, d’autre part, agir sur le leadership des femmes afin qu’elles puissent mobiliser les ressources qui sont en elles pour révéler et assumer leur ambition. 

C’est en agissant aux deux échelons, individuel et collectif, que les femmes pourront accéder aux responsabilités au sein de notre profession qui doit être à l’image de la société, ouverte et riche de sa diversité. 

L’Afec en chiffres 

L’Association femmes experts-comptables a été créée en 2010. 

Elle compte 1 500 membres sur 21 000 experts-comptables en exercice. 

Il s’agit d’un réseau de femmes experts-comptables qui dispose de 16 délégations régionales. 

L’Afec propose des formations et des programmes d’accompagnement professionnel par le biais du mentorat. 

1. Femmes et hommes, l’égalité en question. Insee Références édition 2022.

2. Rapport « Attractivité et mixité des études et des professions du droit » du Conseil national du droit (CND) publié en novembre 2019.

3. Rapport d’information fait au nom de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes (1), sur les stéréotypes de genre par Gaël Le Bohec et Karine Lebon, députés.

4. « The Glass Ceiling: Why Women Can’t Seem to Break The Invisible Barrier That Blocks Them From the Top Jobs ».

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