"Les confrères désirant céder ont rajeuni"

10.11.2022

Gestion d'entreprise

Fondateur du réseau Comptacom, Didier Caplan en est aujourd’hui chargé des croissances externes. Il voit de plus en plus d'experts-comptables autour de la cinquantaine qui ne souhaitent pas poursuivre leur métier seuls. Et qui veulent donc céder leur cabinet ou rejoindre un réseau.

On entend dire que les experts-comptables qui cèdent leur cabinet sont de plus en plus jeunes. Constatez-vous cela sur le terrain ?

Oui. Les confrères désirant céder ont rajeuni. Très majoritairement, il y a quelques années, il s'agissait de départs en retraite de manière classique. Les confrères cherchaient un successeur. Aujourd’hui on voit de plus en plus de personnes aux alentours de la cinquantaine qui disent ne pas pouvoir rester seules. C’est très difficile avec les problèmes qu’on rencontre en matière de marketing, de communication, de masse toujours plus importante d’informations et de recrutement. L’expert-comptable ne peut pas être partout.

Pour la question du recrutement, les réseaux vont aider car ils ont une plus grande visibilité. Et les collaborateurs qui désirent venir peuvent être plus attirés par des structures relativement importantes en se disant qu’ils y ont des opportunités qui peuvent être différentes.  Toutes ces circonstances ont un impact direct sur des experts-comptables aux alentours de la cinquantaine et qui ne veulent pas continuer comme ça jusqu’à 62, 65 ou 67 ans avec des difficultés croissantes.

Ils ne veulent pas rester seuls

On a plusieurs exemples dans notre réseau d’experts-comptables avec des cabinets qui disent vouloir nous rejoindre car ils ont une démarche pour aller dans un réseau ou un groupe. Ils ne veulent pas rester seuls. C’est ce qui s’est passé l’année dernière dans l’est de la France. Trois cabinets avec deux associés sont venus nous rejoindre. Et en début d’année, cela a été le cas d’un confrère avec 18 collaborateurs dans le nord de la France. Il est resté à la tête du cabinet cédé tout en devenant associé du réseau. Il souhaitait pouvoir se consacrer un peu plus aux tâches habituelles d’un expert-comptable. Et nous avons des demandes comme ça aujourd’hui. Et les intermédiaires font tous le même constat.

Pour les plus petits cabinets, il se dit que c’est moins facile que pour les autres de trouver un acquéreur car bien souvent la production y est très dépendante de l’expert-comptable propriétaire. Avec les problèmes de recrutement, ce n’est pas évident de reprendre une toute petite structure...

C’est le cas. On fait très attention à l’effectif qui est en place. C’est encore plus compliqué quand il s’agit d’une cession pure et que l’expert-comptable ne reste pas. Si le cabinet est situé dans une ville où l’on n’est pas présent et qu’on va avoir du mal à recruter, on préfère s’abstenir.

On a vécu cela avec une certaine tristesse de notre part car on pensait vraiment y arriver. Comme on n’a pas voulu laisser tomber le confrère cédant avec lequel on avait un accord de principe, on a été obligé de trouver une autre solution en passant un accord avec d’autres experts-comptables présents sur le terrain qui avaient une capacité à ce moment-là de recruter le personnel qui convenait. On a alors joué le rôle d’intermédiaire. Ca marche d’autant mieux dans la période actuelle de pénurie.

Sur les aspects sociaux ou juridiques, la proximité physique ne joue quasiment plus

Dans le même temps, on devient très sélectif par rapport à la clientèle. On ne prend pas n’importe quel prospect sans vérifier véritablement notre capacité à traiter les dossiers. Toutefois, avec l’essor du télétravail, travailler sur des dossiers à l’autre bout de la France ne pose plus aucun problème à partir du moment où on a un vrai savoir faire et une vraie spécialisation même si sur certains types de client, il faut mieux être dans leur ville. Sur les aspects sociaux ou juridiques, la proximité physique ne joue quasiment plus.

L’évolution attendue de votre profession, avec par exemple la perspective de la facturation électronique qui réduira en principe la saisie comptable, le développement de l’accompagnement ou la RSE, est-elle de nature à résoudre les problèmes de recrutement ?

Oui et non. On souffre de manque flagrant d’attractivité de notre profession. Il y a même des velléités de changer de nom. Dire qu’on est expert-comptable ou comptable devient presque contre-productif aujourd’hui. C’est à l’instar d’autres professions comme banquier. Le recrutement qu’on pouvait faire dans des écoles supérieures de commerce s’est presque tari. Une fois diplômés, ces jeunes vont très bien dans les très grandes entreprises ou dans les start-up. Ils ont besoin de se réaliser, de prendre des risques et il y a l’attractivité de dire qu’ils peuvent faire fortune très rapidement.

Je ne pense pas que la facture électronique résolve le problème d’attractivité

Je ne pense pas que la facture électronique résolve le problème d’attractivité même si cela va automatiser et apporter des gains de productivité. On peut très bien développer des missions à côté. On pensait que la réforme brutale du commissariat aux comptes serait catastrophique. Mais ce n’est pas ce qu’on observe. Les cabinets d’audit fonctionnent presque comme avant.

J’entends dire depuis longtemps que vous avez une forte légitimité pour aller sur ces missions d’accompagnement/conseil mais j’ai le sentiment que pour la majorité de cabinets il y a tellement de travail à faire sur les missions traditionnelles et de difficultés de recrutement que ce n’est pas simple d’aller sur ces missions d’accompagnement/conseil.

Complètement. Parce que ça doit se faire au détriment de ce qu’on doit faire à côté. Donc ça ne marche pas mais une fois que ça va s’automatiser, la nature ayant horreur du vide, ça va être vite comblé.

C’est-à-dire que la facture électronique doit contribuer à une plus forte automatisation et donc à libérer du temps pour aller sur des missions de type accompagnement/conseil.

Complètement. Dans notre cabinet, nous avons plusieurs spécialités. On fait de l’agricole, des professions libérales, artisanales, un peu de PME et on a une branche sur la location en meublé, professionnelle et non professionnelle. La difficulté de recruter des collaborateurs comptables est prégnante dans l’ensemble des cabinets. Mais c’est encore pire si on dit à un comptable qu’il ne va faire que des LMNP [loueur meublé non professionnel]. On a automatisé de manière massive le LMNP. Toutes les tâches sont décomposées. On n’a plus réellement de comptable. Mais on a de plus en plus de clients. Il y a des chargés de dossier et des chargés de mission parce qu’il y a des dossiers compliqués quand même. Donc quand on développe un savoir-faire, on peut se retrouver à faire toute autre chose que de passer des écritures comptables. La facturation électronique va faire un peu la même chose. Je suis optimiste pour la profession.

Parmi les experts-comptables qui cherchent à céder leur cabinet, y en a-t-il qui souhaitent partir en entreprise dans un service comptable voire qui veulent faire quelque chose de très différent ?

Je l’ai rencontré mais dans tous les cabinets que l’on a repris, les experts-comptables sont restés en place.

Cela signifie que le plus souvent ces personnes aiment travailler en cabinet…

Oui. Toutefois, j’ai vu une fois un confrère qui voulait céder pour faire autre chose. Mais c’était tellement bien organisé et rentable qu’il a continué. Et on ne l’a pas repris. Autour de la cinquantaine, tout le monde se pose la question de savoir si on veut continuer son métier jusqu’à la retraite.

Pour certains experts-comptables, le sentiment de solitude est important alors qu’il existe de nombreux évènements organisés par votre profession.

Oui parce qu’on ne peut pas tout partager à un moment donné. Le besoin est souvent de pouvoir échanger avec des associés quand on rencontre un problème. Et de pouvoir se retrouver dans des groupes de travail, d’être soulagé en matière informatique, de formation, sur la manière de gérer le personnel. C’est tout ce cadre général qui est recherché aussi. On a besoin d’oreilles attentives et de spécialistes.

Percevez-vous, tant du côté des experts-comptables qui cherchent à vendre leur cabinet que de celui des nouveaux diplômés, une tendance à vouloir devenir salarié ?

Non. La notion d’indépendance est dans notre profession. Ce n’est pas pour devenir salarié avec un lien de subordination. Et ce n’est pas la tendance générale de l’économie. Depuis le confinement, on n’a jamais vu autant de gens qui veulent créer leur entreprise pour être indépendant.  

Il y a beaucoup de jeunes experts-comptables qui s’installent. Ce n’est pas la fin de la profession libérale. Par contre, il existe une tendance, celle des Daf à temps partagé. C’est un indépendant qui travaille pour quelques groupes.

En tant qu’expert-comptable ?

Oui. C’est un expert-comptable qui facture des honoraires.

Y a-t-il plus de cabinets à vendre, ou susceptibles d’adhérer à un réseau, sachant que les cédants sont plus jeunes qu’avant ?

Il y a toujours le phénomène de la pyramide des âges car on est en plein dans le papy boom. Et c’est renforcé par la tendance qu’on vient de citer avec l’arrivée de plus jeunes. Cela fait donc plus. Les intermédiaires avec lesquels je travaille me présentent de plus en plus de dossiers.

Des dossiers de cabinets qui cherchent à se vendre ou à adhérer à un réseau…
L’expert-comptable indépendant avec 3, 4 ou 5 collaborateurs a en moyenne des clients aux alentours de son âge

Tout à fait. On a même un cas récent de confrères qui vont partir en retraite dans 3, 4, 5 ans et qui se préparent déjà. Ils se disent qu’il vaut mieux anticiper et pourquoi pas rejoindre un réseau. On a déjà rencontré cette situation de confrères qui deviennent franchisés et pour lesquels on fait le contrat de cession. On boucle l’ensemble en même temps. Comme ça le confrère cédant est rassuré car il connaît le prix de vente et il rentre dans une structure qui va lui permettre pour ses dernières années d’exercice que son cabinet reste dynamique, voire même qu’il progresse. Alors que statistiquement, l’expert-comptable indépendant avec 3, 4 ou 5 collaborateurs a en moyenne des clients aux alentours de son âge. Ce qui fait qu’on attire moins les jeunes quand on se rapproche de la retraite. Cela peut amener un peu de déperdition.

La valorisation des cabinets change-t-elle ?

Non. Mais, compte tenu de la difficulté qu’on va avoir à reprendre les cabinets, certains cabinets baissent en valeur. Donc ça peut valoir moins cher. Le prix du cabinet dépend souvent de la question de savoir si la structure sur laquelle on va pouvoir s’appuyer pour pouvoir reprendre est suffisante.

Le cas le plus difficile c’est celui du couple qui travaille ensemble et qui va partir en retraite avec en plus une responsable de dossiers du même âge qui va aussi partir en retraite. Comment reprendre un cabinet comme ça si on est loin d’un cabinet existant ! Nous on ne reprend pas. Et il y a aussi le sujet de la pérennité de la clientèle quand tout le staff va partir. Notre métier a un fort intuitu personae. Mais un cabinet structuré vaut toujours autour du coefficient 1 de chiffre d’affaires. Certains cabinets veulent parfois se valoriser à partir d’un multiple de l’EBE [excédent brut d’exploitation]. Quand c’est très structuré avec une forte rentabilité pourquoi pas avec un coefficient important.

Propos recueillis par Ludovic Arbelet

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