Provision pour hausse des prix : l’outil fiscal des entreprises contre l’inflation

Expert-comptable et commissaire aux comptes, associé Mazars, professeur associé à l’université de Bourgogne

Quelque peu passée de mode depuis plusieurs années, sauf dans certains secteurs d’activité particuliers, la provision pour hausse des prix revient en force dans les comptes des entreprises.

L’augmentation du coût des matières premières, et plus généralement la reprise d’un niveau d’inflation que nous n’avions plus connu depuis près d’une quarantaine d’années, redonne un intérêt au dispositif fiscal de la provision pour hausse de prix (PHP), créé à la fin des années cinquante 1.

Des principes fiscaux relativement simples

Principe général 

La constitution de cette provision, prévue à l’article 39, 1-5° du Code général des impôts (11e à 14e alinéas) est ouverte, à certaines conditions, aux entreprises 2 qui détiennent des stocks de matières ou de produits ayant subi des variations de prix importantes d’un exercice à l’autre. En effet, la provision peut être constituée à partir du moment où, pour une matière ou un produit donné, une variation de prix de plus de 10 % a été constatée au cours d’une période ne pouvant excéder deux exercices successifs 3 (c’est-à-dire par comparaison avec les prix observés à la clôture des exercices N – 1 ou N – 2).

Le montant de la provision se détermine en multipliant les quantités figurant en stock à la clôture par la différence entre la valeur unitaire d’inventaire à cette date et 110 % de cette même valeur d’inventaire à l’ouverture du même exercice (c’est-à-dire à la clôture de l’exercice précédent), ou à l’ouverture de l’exercice précédent (c’est-à-dire à la clôture de l’exercice N – 2).

Exemple

Prenons le cas d’une entreprise dont les stocks d’un article donné sont les suivants :

La valeur unitaire des articles en question était précédemment de 20 €, ce qui donne une valeur de référence pour le calcul de la provision s’élevant à 20 € x 110 % = 22 €. Comme ces articles valent désormais 25 € chacun, la provision pour hausse des prix s’élève à 25 – 22 = 3 € par article, soit au total, puisque 40 000 articles sont présents dans les stocks de fin d’exercice, une provision de 40 000 x 3 € = 120 000 €.

La valeur unitaire d’inventaire à retenir s’entend normalement comme le prix de revient, diminué du montant de la dépréciation éventuellement constatée par voie de provision. Cependant, l’Administration autorise les entreprises à faire abstraction de la dépréciation pratiquée sur les matières, produits ou approvisionnements ayant subi exceptionnellement une dépréciation particulière autre que celle résultant de la baisse des prix (par exemple, marchandises entreposées dans un local inondé ou incendié) 4.

Bien entendu, la présence dans les stocks de produits dont la valeur n’a pas augmenté de 10 % n’affecte pas les possibilités de constitution de la provision.

Exemple 

Le fait que le prix du produit B ait baissé, entraînant d’ailleurs la baisse globale du montant des stocks, n’empêche pas la société de procéder à la dotation d’une provision pour hausse des prix fondée sur l’augmentation du prix du produit A.

Plafonnement ou limitation du montant de la provision

Cependant, le montant de la dotation annuelle pouvant être constatée est plafonné à 15 millions d’euros, majoré d’une fraction égale à 10 % de la provision calculée avant plafonnement.

Ainsi, si au terme de ses calculs une entreprise parvient à une dotation théorique de 20 millions d’euros, la dotation à constituer sera plafonnée à 15 + (20 x 10 %) = 17 millions d’euros.

En revanche, la dotation n’est pas limitée par le bénéfice imposable de l’entreprise : la provision peut être constituée même lorsque les résultats de l’exercice sont déficitaires, ou lorsqu’elle aboutit à rendre déficitaire un exercice qui, sans elle, eût été bénéficiaire 5.

En tout état de cause, la constitution de la provision est totalement facultative : les entreprises ne sont pas tenues, à la clôture de chaque exercice, de pratiquer la provision maximale à laquelle elles auraient droit, et peuvent aussi purement et simplement s’abstenir de la pratiquer 6.

Reprise de la provision

La loi prévoit que la provision pour hausse des prix pratiquée à la clôture d’un exercice doit être rapportée aux bénéfices imposables en cours à l’expiration de la sixième année suivant la date de clôture de constitution. Ainsi, dans le cas d’une PHP constituée à la clôture de l’exercice clos au 31-12-2021, cette provision devra être reprise au plus tard dans les comptes de l’exercice clos le 31-12-2027.

Toutefois, un régime particulier est prévu en ce qui concerne les entreprises dont la durée de rotation des stocks dépasse trois ans. Pour ces entreprises, la loi 7 prévoit que la réintégration s’effectue dans un délai double de celui de leur rotation des stocks : ainsi, pour une entreprise dont le délai de rotation des stocks s’élève à quatre ans, la reprise de la provision interviendra dans un délai de huit années après sa constitution.

Un mode de calcul forfaitaire de ce délai de rotation est donné par les textes 8, qui prévoient que la durée normale de rotation du stock d’une entreprise est forfaitairement exprimée en mois par le chiffre obtenu en divisant le nombre de mois compris dans les trois premiers exercices clos par le rapport existant entre :

• d’une part, le prix de revient global des marchandises vendues au cours desdits exercices ;

• et d’autre part, la moyenne des valeurs des stocks à la clôture des mêmes exercices 9.

Ces délais sont des délais maximaux, l’entreprise étant libre comptablement et fiscalement (voir plus loin) de reprendre tout ou partie de la provision constituée quand bon lui semble. 

En revanche, les provisions doivent en principe être immédiatement reprises en cas de cession ou de cessation d’activité. Tel est le cas bien entendu pour les entreprises individuelles 10, mais tel est le cas également pour les sociétés passibles de l’IS en cas de cession d’un établissement ou de cession ou de cessation d’une branche d’activité, en tout cas dans la mesure où la provision est afférente aux matières, produits et approvisionnements se rapportant à l’établissement ou à la branche d’activité cédée ou abandonnée 11. Cependant, le fait que la provision soit devenue sans objet pour cause d’arrêt de l’activité concernée n’implique pas toujours sa réintégration anticipée dans le résultat imposable 12.

Des principes fiscaux parfois difficiles à mettre en pratique

Le droit à la constitution de la provision doit être apprécié distinctement pour chaque matière, produit ou approvisionnement de nature différente. En pratique, il va sans dire qu’avec les multiples modifications de références pouvant intervenir d’une année à l’autre dans certaines activités, l’exercice peut s’avérer délicat, surtout pour des entreprises ayant de très nombreux articles en stock. L’Administration a précisé faire une « appréciation libérale » du caractère comparable des produits en stock et ne pas refuser le droit à la constitution d’une provision en ce qui concerne « les produits qui, bien que quelque peu différents par nature de ceux existants à l’ouverture de l’exercice considéré ou de l’exercice précédent, ont des valeurs d’inventaire comparables à celles conférées à ces derniers produits 13 ».

Bien évidemment, cette liberté reste encadrée, sous le contrôle du juge de l’impôt. C’est ainsi qu’une entreprise ne peut pas regrouper dans une même rubrique des semences de maïs traitées et conditionnées en sacs, et des semences non traitées et stockées en vrac 14, ou encore, s’agissant d’une entreprise de négoce de vins, tous les vins d’une même appellation sans tenir compte de l’existence de qualités et de prix différents 15.

Des précisions figurent dans la doctrine administrative (BOFiP) pour quantité de secteurs d’activité particuliers : négoce de véhicules automobiles, détaillants en bijouterie d’or, négoce de meubles, entreprises de construction d’immeubles, secteur de l’édition 16.

Par simplification, les entreprises sont autorisées à regrouper, sous leur responsabilité, pour une même matière, un même produit ou un même approvisionnement, des éléments de qualité différente, en utilisant une valeur d’inventaire moyenne pondérée 17. Cependant, cette possibilité n’a de sens, indique l’Administration, que si l’importance respective des différentes qualités en stock reste sensiblement la même d’un exercice à l’autre 18. Dans le cas contraire, le service se réserve la possibilité de refuser la déduction de la provision constituée.

Un court exemple permet de comprendre ce cas de figure. Prenons le cas d’une entreprise qui commercialise des barres d’une même qualité de matière, dans plusieurs longueurs, et dont les stocks N – 1 se présentent comme suit :

On constate que le prix de la barre au mètre décroît légèrement en fonction de sa longueur. Le prix moyen pondéré de cette matière dans le stock N – 1 s’élève à 17,52 €/m, et cette valeur peut être retenue comme valeur de stock de la matière en question pour le calcul de la PHP. L’entreprise pourra donc normalement constituer une provision pour hausse des prix si cette valeur vient à atteindre 17,52 € x 110 % = 19,27 €/m au cours d’une période ne pouvant excéder deux exercices successifs.

Cependant, il s’avère que les stocks N présentent la physionomie suivante :

La valeur moyenne pondérée du mètre de matière s’élève désormais à 19,78 €/m, et est donc supérieure à 19,27 €/m, ce qui devrait normalement ouvrir droit à la constitution d’une provision pour hausse des prix. Toutefois, les stocks N n’apparaissent pas réellement comparables aux stocks N – 1, car il est manifeste que le produit A est désormais beaucoup plus représenté que les autres (il représente 63 % du métrage en stock contre 22 % précédemment). L’Administration ne devrait donc pas accepter ce calcul en valeur pondéré, et l’entreprise devra calculer l’augmentation produit par produit (ce qui dans ce cas particulier lui interdira la déduction d’une PHP car l’augmentation réelle n’est que de 5 %).

Un régime comptable d’une grande souplesse

Dans la mesure où la provision pour hausse des prix est une provision purement fiscale, l’entreprise n’est pas tenue par le principe de permanence des méthodes 19. Le plan comptable général 20 prévoit en effet que les provisions réglementées sont des provisions constituées en application de textes particuliers de niveau supérieur. Elles ne correspondent pas à la définition comptable d’une provision, même si elles sont comptabilisées suivant un mécanisme analogue à celui des provisions proprement dites : « Les conditions de comptabilisation, de reprise et d’évaluation de ces provisions sont définies par les textes qui les ont créées ». Or, comme nous l’avons vu plus haut, la loi fiscale est elle-même extrêmement souple en ce qui concerne le régime des provisions pour hausse des prix, qui peuvent ne pas être dotées, ou partiellement dotées, et peuvent être reprises à n’importe quel moment au gré de l’entreprise qui les a constituées. Cependant, tout changement dans ces provisions, reprises ou dotations, doit être précisé dans l’annexe des comptes annuels 21.

Un impact potentiellement important sur la participation des salariés

La constitution d’une provision pour hausse des prix est susceptible d’avoir deux impacts sur la participation des salariés.

Tout d’abord, comme le résultat servant de base au calcul de ladite participation est le résultat fiscal, toute constatation d’une provision déductible vient diminuer ce résultat, et donc le montant sur lequel se calcule la participation.

Par ailleurs, on sait que la formule de calcul de la participation réserve d’office une partie du résultat aux actionnaires, puisque la participation ne se calcule qu’après qu’une portion de 5 % des capitaux propres a été « réservée » à ces mêmes actionnaires. Or ces capitaux propres comprennent, outre le capital, les primes et réserves et le report à nouveau, les « provisions qui ont supporté l’impôt 22 ainsi que les provisions réglementées constituées en franchise d’impôts par application d’une disposition particulière du code général des impôts 23. » Parmi ces provisions spéciales constituées en franchise d’impôt figure précisément la provision pour hausse des prix 24, ce qui signifie que sa constitution se traduit bien par une augmentation des capitaux propres « au sens de la participation », donc à une réduction de l’assiette de calcul de la participation. Ajoutons que d’après l’administration fiscale, les provisions qui, telle la PHP qui nous occupe, sont constituées en application d’une disposition expresse du CGI, doivent être comprises dans les capitaux propres de l’exercice de leur constitution, à la différence des autres provisions déductibles 25. Ainsi, l’année de sa constitution, la PHP génère un double effet négatif sur la base de calcul de la participation, en diminuant le résultat fiscal et en augmentant immédiatement les capitaux propres 26. 

1.  Loi n° 59-1472 du 28 décembre 1959.

2. Le dispositif est ouvert aux entreprises passibles de l’impôt sur les sociétés, mais aussi aux entreprises exerçant une activité industrielle ou commerciale soumises à l’impôt sur le revenu d’après leur bénéfice réel.

3. CGI, annexe III, art. 10 nonies.

4. BOI-BIC-PROV-60-30-10, 6-10-2014 ; § 180.

5. BOI-BIC-PROV-60-30-20, 12-9-2012 ; § 40.

6. BOI-BIC-PROV-60-30-20, 12-9-2012 ; § 30. L’Administration précise que lorsqu’une entreprise ne constitue pas à plein la provision à laquelle elle peut prétendre, il lui appartient de répartir le montant de la dotation entre les différents produits pour lesquels elle a calculé sa dotation.

7. CGI, art. 39-1-5°, 12e alinéa.

8. CGI, annexe III, art. 10 undecies.

9. Des précisions détaillées et des exemples chiffrés figurent dans la doctrine administrative : BOI-BIC-PROV-60-30-30, 12-9-2012 ; §§ 40 à 80.

10. Cession ou cessation d’entreprise, décès de l’exploitant. Par exception, la reprise ne s’applique pas en cas de mise en œuvre de l’article 41 du CGI (transmission à titre gratuit d’une entreprise individuelle), de l’article 151 octies (apport d’une entreprise en société) ou des articles 210  à 210 C (régime des fusions, scissions et apports partiels d’actifs).

11. BOI-BIC-PROV-60-30-30, 12-9-2012 ; § 100. Par ailleurs, en vertu de l’article 221-5 du CGI, le changement d’objet social ou d’activité réelle d’une société emporte cessation d’entreprise : outre la perte des déficits fiscaux reportables, cet événement entraîne la réintégration des provisions réglementées constituées antérieurement, donc de la PHP.

12. Ainsi jugé dans le cas d’un producteur de vins de Champagne qui avait cessé son activité de production pour la sous-traiter, mais avait conservé ses stocks en vue de leur commercialisation : Conseil d’État, 30 décembre 1996, n° 160480.

13. BOI-BIC-PROV-60-30-10, 6-10-2014 ; § 100.

14. CAA de Nantes, 5 mai 2008, n° 07-930 SA Limagrain Verneuil Holding, RJF 12-08 n° 1298.

15. Conseil d’État, 24 avril 2012, n° 326979 SA Descas père et fils, RJF 7-12 n° 682. Une entreprise de négoce ne peut, a fortiori, se contenter de distinguer le stock de vins blancs du stock de vins rouges (Rm Cousté, JO AN du 20 avril 1981 n° 1744). Dans le cas du Cognac, il a été précisé que les catégories dans lesquelles les eaux-de-vie sont classées, selon leur cru et leur âge, constituent des produits distincts pour la détermination de la provision pour hausse des prix (Rm. Laurent, JO Sénat du 18 juillet 2012, p. 2177).

16. BOI-BIC-PROV-60-30-10, 6-10-2014 ; §§ 110 à 170.

17. BOI-BIC-PROV-60-30-10, 6-10-2014 ; § 180.

18. Idem, § 200. Aucune précision n’est donnée en revanche sur la limite à partir de laquelle l’importance relative des produits est considérée comme n’étant pas demeurée « sensiblement la même »…

19. Voir Mémento comptable F. Lefebvre §§ 21990 et s.

20. PCG art. 313-1.

21. Voir Mémento comptable F. Lefebvre § 22000.

22. Il s’agit de celles qui n’ont pas été admises en déduction pour l’assiette de l’impôt : BOI-BIC-PTP-10-10-20-20, 4-2-2015 ; § 120.

23. Code du travail, art. D. 3324-4. Le terme « en franchise d’impôt » se réfère aux provisions déductibles.

24. BOI-BIC-PTP-10-10-20-20, 4-2-2015 ; § 130.

25. BOI-BIC-PTP-10-10-20-20, 4-2-2015 ; §§ 150 et 160.

26. Ce qui ne sera pas le cas pour n’importe quelle provision déductible ou non déductible. Il n’est d’ailleurs pas tenu compte de la charge d’impôt latente induite par la reprise ultérieure de la PHP : C’est seulement dans le cadre d’un accord dérogatoire de participation que les entreprises peuvent déduire du montant des capitaux propres un impôt latent sur la provision pour hausse des prix (Rm. Guyard, JO AN 14 oct. 1985 n° 71311). Il n’en va bien évidemment pas de même dans les comptes consolidés (constatation d’un impôt différé passif pour tenir compte du caractère temporaire du décalage et de l’obligation de reprendre la provision dans un certain délai).

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