À l'ère des logiciels, l'expert-comptable encouragé à remettre l'humain au cœur de son cabinet

30.09.2022

Gestion d'entreprise

Les experts-comptables doivent s'adapter à la génération Z et déchiffrer le monde d'après pour attirer et fidéliser les collaborateurs. Quatre spécialistes en management et bien-être au travail ont partagé leurs expériences et délivré conseils et coachings pour déminer ce passage obligé lors d'un atelier du 77ème Congrès de l'ordre des experts-comptables.

"Nous allons continuer à vouloir réaliser des logiciels super automatisant, mais attention, l'humain sera toujours au cœur de notre société". L'alerte signée Eric Berberes, expert-comptable, commissaire aux comptes et formateur certifié – faisait au passage écho au slogan "l'expert-comptable au cœur de la société" du 77ème Congrès de l'ordre des experts-comptables – est partagée à l'unisson par les animateurs de l'atelier "Cabinet durable rime avec Cabinet désirable !" tenu mercredi matin, porte de Versailles à Paris.

Car avec l'arrivée de la jeune génération et du monde VICA (pour volatile, incertain, complexe et ambigu), les qualités humaines au travail deviennent (l'ont-elles jamais été ?) primordiales. " La digitalisation, la 4ème révolution industrielle de l'IA, la recherche de sens et de bien-être de la génération Z ou encore le défi environnemental et économique remettent en question certains vérités aujourd'hui, note Jérôme Hoarau, conférencier spécialiste en management. C'est le retour d'une forme d'humilité. Ces changements globaux nous questionnent. Comment avancer ?"

Briser l'armure

À cette question, Eric Berberes entend d'abord briser une "espèce d'omerta", celle de "l'image de l'expert-comptable sachant et infaillible, considéré comme Dieu le Père à l'instar des professions réglementées". Une posture périmée à troquer contre celle plus humaine, "normale", d'être soi-même, d'être "authentique". Pour ce faire, Jérôme Hoarau propose un exercice à réaliser pour soi et son équipe : identifier dans son entourage une personne (plusieurs idéalement) qui vous apprécie et lui poser la question "Quelles sont mes forces selon toi ?". Cet exercice concret aiderait son équipe à "mieux se connaître". Il serait le point de départ d'un "changement de dynamique" grâce une meilleure "connaissance, estime et confiance en soi".

 Une dimension me manquait : la relation aux autres.

Briser l'armure a également été au commencement du nouveau management de Nicole Carrion, présidente de la commission développement des compétences relationnelles du CNOEC, qui "déboulait comme un avion de chasse au cabinet". "Ne comprenant pas pourquoi mes intentions n'étaient pas perçues positivement, j'ai rencontré une coach, raconte-elle. Une dimension me manquait : la relation aux autres. Jusqu'ici, ma relation n'était que contractuelle, sécurisante mais insuffisante. Or, derrière la relation se cachait un secret : l'émotion. Je me rends compte aujourd'hui que je suis la garante de la température émotionnelle de mon équipe".

"Nous présentons parfois les émotions comme quelque chose de mauvais, à maitriser, abonde Marie-Dominique Cavalli, vice-présidente du CSOEC pour le secteur stratégie et performance des cabinets. Souvent, on m'a dit que j'étais trop émotive, gentille. Oui, j'ai des émotions, je ne suis pas une machine !" L'experte-comptable assume ses erreurs, appliquant naturellement le proverbe Errare humanum est, perseverare autem diabolicum. De quoi laisser place à la confiance. "Mes collaborateurs me rapportent directement leurs erreurs, grâce à cela", se réjouit-elle, tout en rappelant que montrer ses émotions est aussi savoir les maîtriser. "Il ne faut pas s'énerver, punir, ou montrer un mécontentement, prévient-elle. Mais plutôt essayer avec l'équipe de trouver une solution pour que l'erreur ne se reproduise pas."

S'intéresser aux compétences non-techniques

Autre passage obligé : la considération des compétences non-techniques. Jérôme Hoarau conseille de "ne pas uniquement miser sur les compétences techniques (diplômes, etc.)" lors d'un recrutement mais aussi sur "les compétences que nous avons en tant qu'humain, souvent développées dans un cadre non-professionnel [faisant allusion aux dernières lignes du CV, action associative, karaté, etc.]".

 Garder un collaborateur, c'est faire en sorte qu'il se sente bien et non lui proposer des dossiers de qualité.

Lui-même a recruté deux personnes sans CV dans le community management, en misant sur l'appétence et le relationnel. La formation venant après. "Avec l'obsolescence des compétence techniques, il est important pour moi qu'elles arrivent à apprendre et s'adapter", explique-t-il. Selon les résultats d’une étude menée par Dell et l’Institut du Futur en 2018 citée par le conférencier, la durée de vie moyenne d'une compétence technique a chuté de 30 ans en 1987 à une fourchette de 12 à 18 mois aujourd'hui. De fait, la technicité n'attire plus. "Garder un collaborateur, c'est faire en sorte qu'il se sente bien et non lui proposer des dossiers de qualité", rend compte Nicole Carrion.

Faire évoluer en compétences ses clients

Les compétences non-techniques facilitent aussi le bien-être collectif. "Dans la vie professionnelle, quand un jeune arrive, c'est un peu le homard qu'on lance dans l'eau chaude. Il rougit sans que l'on sache pourquoi", s'amuse Eric Berberes, adepte également de "la gestion des appétences plutôt que des compétences". Pour motiver ses troupes, le formateur prône la poursuite d'un objectif collectif porté par autre chose que l'expertise : "avoir la volonté au quotidien que ses clients réussissent" et "les faire évoluer en compétences". "Notre vision est de faire en sorte que ces derniers puissent évoluer dans un monde automatisé et digitalisé".

Rien de mieux pour ce faire qu'un cabinet qui se porte bien. "La mauvaise humeur de l'expert-comptable se répercute sur le ressenti des clients, alerte Jérôme Hoarau. Il faut se dire qu'en tant qu'humain : mon comportement aura des conséquences sur les autres." Mais parce que "les clients ont toujours raison, jusqu'à ce qu'ils aient tort", selon la formule d'Éric Berberes, Marie-Dominique Cavalli préfère "garder des collaborateurs que des clients". Une sortie amusée – mal assumée – qui a le mérite d'illustrer le cercle vertueux (tortueux ?) de la relation client.

Les "cinq casquettes" de l'expert-comptable

Selon Jérôme Hoarau, l'expert-comptable revêt cinq casquettes :

  • celle de l'expert (savoir prendre des décisions et faire preuve d'exemplarité) ;
  • celle du dirigeant ;
  • celle du manager (savoir coacher et diriger l'équipe sur des objectifs, savoir organiser) ;
  • celle du leader (savoir inspirer son équipe avec une vision, la faire grandir notamment émotionnellement) ;
  • celle d'humain (savoir notamment demander de l'aide).

 

Matthieu Barry

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