Réforme de l’audit : l’impact économique devrait être moins lourd que prévu pour les cabinets

Réforme de l’audit : l’impact économique devrait être moins lourd que prévu pour les cabinets

07.11.2019

Gestion d'entreprise

L’activité des commissaires aux comptes sera probablement moins affectée par les nouveaux seuils de certification des comptes que ne l'estimait la CNCC. Toutefois, l’effet pourrait varier sensiblement d’une structure à l’autre. Témoignages.

En mars puis en juillet dernier, la CNCC brandissait le risque d’une catastrophe. "Ce relèvement brutal des seuils par un effet «guillotine» dès 2019 risque d’entraîner de dramatiques conséquences tout autant économiques que sociales pour une profession : 10 000 emplois et 650 millions d’euros d’activité sont menacés". Un chiffrage revu à la baisse en ce qui concerne l'activité. En 2018, le représentant des commissaires aux comptes tablait sur une perte de chiffre d'affaires de 881 millions d'euros. Une réponse, à l'époque, au fameux rapport de l'inspection générale des finances (IGF) sur la certification légale des comptes des petites entreprises françaises. L'IGF estimait "la perte maximum pour la profession, résultant d’une perte de l’ensemble des mandats rendus non obligatoires, à environ 620M€, au bout de six ans", tout en relevant que l’effet ne peut être évalué avec précision notamment "parce qu'une partie des entreprises qui ne seront plus soumises à l’obligation de faire certifier leurs comptes continueront à le faire sur une base volontaire".

Qu’en est-il aujourd’hui alors que la loi Pacte a été promulguée et que les textes d’application relatifs au nouveau périmètre de certification des comptes ont été publiés ? La réponse à cette question reste compliquée même si on y voit un peu plus clair. Du côté de la CNCC, la principale certitude se résume ainsi, comme le livre dans nos colonnes son président Jean Bouquot : "l’impact maximal que nous avons chiffré de façon mathématique devrait être compensé par un certain nombre d’éléments". Sur le terrain, les témoignages que nous avons recueillis — dont nous ne prétendons aucunement être représentatifs de la population de commissaires aux comptes — tendent à confirmer que l'impact sera probablement moins lourd pour les cabinets.

Une perte potentielle d'activité de 5 à 6 % pour Absoluce...

"Pour Absoluce, la perte de chiffre d’affaires à terme serait comprise entre 5 et 6 %. Mais j’espère qu’elle sera moindre car des entreprises vont demander volontairement à faire auditer leurs comptes dans le cadre d’une mission classique de 6 exercices, prévoit Michel Tudel, président de ce groupement qui compte 23 cabinets adhérents. Les sociétés dans lesquelles le capital est très morcelé ont besoin du commissaire aux comptes pour garantir l’égalité entre actionnaires. C’est le cas d’un centre d’imagerie médicale qui a décidé de nous garder", illustre-t-il.

... et de 8 millions d'euros pour BDO...

Le cabinet BDO, dont l’activité s’élève en 2018 à 149 millions d’euros, fait lui aussi partie de ceux qui craignent une mauvaise opération. "Nous estimons perdre à terme 40 % de nos mandats d’audit légal, soit 8 millions d’euros de chiffre d’affaires. BDO n’est pas un Big. Nous avons surtout des mandats petits et moyens, résume Philippe Arraou, président du directoire. Mais nous espérons compenser cette perte par une nouvelle approche de l’audit, qui intègre de la prospective notamment", ajoute-t-il, sans en dire davantage sur ce qui est en préparation.

... et marginale pour Sadec-Akelys

Les phénomènes de compensation, le cabinet Sadec-Akelys les a longuement étudiés. Résultat : ses prévisions sont largement revues. "L’impact [estimé lors de l’annonce de la loi Pacte] s’élevait, pour notre cabinet, dans le pire des scénarios, à une perte de 3 % du chiffre d’affaires total du groupe. Aujourd’hui, je pense intuitivement que l’effet sera marginal", avance Olivier Drouilly, président de ce groupe qui compte 360 collaborateurs. Plusieurs facteurs expliquent ce changement de diagnostic. "A travers les notions de petit groupe et de filiale significative, nous pensons amortir de manière significative le manque à gagner que nous avions chiffré dans un premier temps. Des chefs d’entreprise qui pensaient se libérer de la certification annuelle des comptes risquent de se retrouver avec des structures où ils n’avaient pas forcément l’habitude de voir un commissaire aux comptes, argumente Olivier Drouilly. On ressent aussi que les entreprises ont besoin de comptes certifiés par rapport à leurs partenaires financiers, que ce soit des banquiers ou certains associés", illustre-t-il.

Commissaires aux comptes pour sociétés sur étagères

Pour certaines structures de taille moyenne, la réforme n’aura même aucun impact sur leur activité. C’est le cas de Denjean & associés. "Notre cible est constituée de grands groupes et de sociétés du middle market. Donc par définition nous n’avons pas de société indépendante qui fasse moins de 8 millions d’euros de chiffre d’affaires, 4 millions d’euros de total bilan et 50 salariés", argumente Thierry Denjean, président de ce cabinet qui réalise un chiffre d’affaires de 15 millions d’euros. Et d’ajouter : "une filiale qui sortirait de l’obligation de désigner un commissaire peut quand même présenter un intérêt d’être auditée pour le contrôle des comptes de sa maison mère. Et certaines filiales, sans activité, vont volontairement conserver un commissaire aux comptes afin d’être prêtes à être utilisées le moment venu. C'est le cas des sociétés sur étagères", développe-t-il.

Du côté d’Exco, la réforme est aujourd’hui attendue avec sérénité. "Nous espérons un effet positif à terme du nouveau périmètre d’audit légal sur notre chiffre d’affaires global", affirme son directeur général Franck Parker. Le réseau compte sur l’effet du nouveau périmètre des groupes et sur la perspective de l’audit légal dans les collectivités territoriales.

Quid des cabinets à forte activité d'audit ?

Mais à l’autre extrême, qu'en est-il des cabinets dont une part importante de l'activité provient du commissariat aux comptes ? Il reste difficile de répondre à cette question. Interrogée, la CNCC indique que 2300 commissaires aux comptes personnes physiques vont perdre plus de 75 % mais moins de 100 % de leurs mandats. Cela représente 244 millions d'euros d’honoraires. Et 1332 professionnels vont voir disparaître 100 % de leurs mandats, soit presque 24 millions d'euros d’honoraires. Bref, tous les cabinets ne sont pas logés à la même enseigne. Et ce n'est qu'un aspect de cette réforme. Le sujet porte aussi sur l'attractivité de la profession comptable, la concentration du secteur ou encore la concurrence entre commissaires aux comptes et experts-comptables.

Ludovic Arbelet

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