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La qualité comptable, une inquiétude mondiale

Le récent rapport de l'Ifiar, une organisation internationale qui regroupe une cinquantaine de régulateurs de l'audit, montre que le doute pèse toujours sur la qualité des comptes des entités les plus importantes, notamment des institutions financières systémiques. Un sentiment d'autant plus présent que des scandales comptables ont éclaté dans plusieurs pays ces dernières années.

Le problème de la qualité des comptes des entités d'intérêt public est un sujet mondial. Sur sa face émergée, on y trouve des scandales dont les médias se font l'écho. Notamment au Royaume-Uni, avec l'exemple symptomatique de la curieuse liquidation de Carillion en janvier 2018, ce géant britannique du BTP qui présentait, en apparence, une situation financière florissante quelques mois tôt. Souvent, les grands cabinets d'audit sont mis en cause — c'est le cas de KPMG, l'auditeur de Carillion, qui, dans cette affaire, fait notamment l'objet de critiques parlementaires et d'une enquête du FRC (financial reporting council), le régulateur de l'audit outre-Manche. Parfois, ces cabinets sont condamnés. Outre-manche, KPMG a été sanctionné quatre fois en douze mois. PwC l'a été en mai 2018 pour son contrôle défectueux des comptes de BHS, une chaîne de 163 magasins qui employait 11 000 personnes avant sa disparition en 2016. Il avait été sanctionné déjà 3 fois pour sa conduite en matière de contrôle des comptes au cours des trois années précédentes. Et la liste des dysfonctionnements comptables majeurs peut être étendue à d'autres pays, alimentant régulièrement les critiques sur le travail des auditeurs : Olympus (KPMG et EY ; Japon), Petrobras (PwC ; Brésil), Satyam (PwC ; Inde), la famille Gupta (KPMG ; Afrique du sud)...  ou encore Lehman Brothers (EY ; Etats-Unis).

Face cachée

Ce sujet de qualité comptable contient aussi une face cachée. De façon récurrente, les régulateurs nationaux de l'audit des comptes alertent contre le trop grand nombre de carences dans le contrôle légal des comptes, étant précisé qu'une seule pourrait avoir des répercussions systémiques. C'est le cas en France. Le dernier rapport du H3C (haut conseil du commissariat aux comptes) montre ainsi que 43 % des mandats d’audit légal des comptes des entités d’intérêt public (EIP) contrôlés en 2017 présentent un problème, plus ou moins important. Une situation préoccupante même s'il faut être prudent sur cet indicateur et sur son pourcentage car on sait que les inspections réalisées ne portent pas forcément sur un échantillon représentatif. Mais là encore, il faut avoir l'esprit qu'une seule carence peut avoir des répercussions colossales. Parmi les insuffisances détectées par le H3C, on y trouve 5 mandats dont l'opinion d’audit est erronée. 3 concernent des entités cotées sur un marché réglementé (compartiments A et C), un concerne une société d’assurance et un autre une mutuelle livre II. Quelle est l'origine de ces dysfonctionnements ? "Les opinions erronées constatées pour 5 mandats [sur des entités d’intérêt public] sont liées principalement à l’application de traitements comptables non conformes à la réglementation pour des montants importants, bien supérieurs au seuil de signification", résume le H3C.

Scepticisme des auditeurs insuffisant au Royaume-Uni

Il y a bientôt un an, le FRC tirait la sonnette d'alarme. Il relevait une détérioration du travail réalisé par les plus grands cabinets. "Les Big 4 doivent améliorer la qualité de leurs audits, et le faire rapidement. Ils doivent traiter d'urgence plusieurs facteurs essentiels à l'audit, notamment le niveau de challenge et de scepticisme des auditeurs, en particulier lors de leurs audits bancaires", demandait le régulateur de l'audit au Royaume-Uni.

Depuis plusieurs années, le rapport de l'Ifiar (international forum of independant audit regulators), un forum qui comprend 55 régulateurs nationaux de l'audit dans le monde, montre que l'insuffisante qualité d'audit est un sujet mondial. Un sujet d'autant plus préoccupant qu'il concerne le travail des six plus grands cabinets — BDO, Deloitte, EY, Grant Thornton, KPMG et PwC — dans le contrôle des comptes des entités d'intérêt public cotées sur un marché et des institutions financières d'importance systémique mondiale — fournie par le FSB (financial stability board), la liste de ces institutions comprend 30 banques et 9 assurances. Résultat : le rapport 2018 que l'Ifiar vient de publier révèle que 37 % des missions inspectées en relation avec l'audit des entités d'intérêt public cotées sur un marché présentent au moins une carence d'audit, c'est à dire une déficience généralement significative dans le respect des normes d'audit qui indique que le cabinet n'a pas suffisamment étayé son opinion d'audit — toutefois, une carence d'audit n'implique pas forcément que les états financiers correspondant sont erronés. Il faut néanmoins noter que, ces derniers années, la tendance est à l'amélioration de cet indicateur qui présentait en 2014 un taux de 47 %. En ce qui concerne l'audit des institutions financières d'importance systémique mondiale, la présence de carences est un peu plus prononcé quantitativement, avec un taux d'insuffisance de 43 %. Un résultat toutefois meilleur qu'en 2017. Mais qui reste alarmant quand on sait le rôle que jouent ces entités dans l'économie et plus généralement dans la société.

Ludovic Arbelet
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Ludovic Arbelet