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[Série spéciale Pacte] La fin de la séparation de l'audit et du conseil dans la plupart des cas

Le projet de loi Pacte a été adopté définitivement par le Parlement. Nous y consacrons une série. Ce volet porte sur l'évolution du périmètre des services non audit. La liste des prestations que le commissaire aux comptes ne peut aujourd'hui jamais fournir aux entités qui ne sont pas d'intérêt public disparaît. Elle est remplacée par une analyse des risques encourus et des éventuelles mesures de sauvegarde.

Comptabilité, déclarations fiscales, paie, conseil juridique, etc. Aujourd'hui, aucun de ces services ne peut être fourni par le commissaire aux comptes à l'entité dont il audite les comptes. La liste complète de ces interdictions est précisée dans le code de déontologie des commissaires aux comptes (voir son article 10 ainsi que l'article L 822-11 du code de commerce). Demain, ce professionnel pourra les fournir aux entités qui ne sont pas d'intérêt public lorsqu'il respecte certaines conditions — avec toutefois la limite liée à une éventuelle prérogative d'exercice. Cette libéralisation provient du projet de loi Pacte (projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises) qui a été adopté définitivement par le Parlement. A moins d'une censure constitutionnelle sur ce sujet, ce texte va donc faire disparaître ces interdictions absolues imposées à l'auditeur légal des comptes de petites, des moyennes et des grandes entités (qui ne sont pas d'intérêt public).

Nouveau cadre

Est-ce à dire que cette liste noire est remplacée par un chèque en blanc donné au commissaire aux comptes ? La réponse est négative. Le nouveau cadre impose, comme aujourd'hui, à l'auditeur légal de ces entités de respecter notamment les principes d'indépendance à l'égard de l'entité auditée et d'absence d'auto-révision. Le futur article L 822-11 du code de commerce exige que "il est interdit au commissaire aux comptes d’accepter ou de poursuivre une mission de certification auprès d’une personne ou d’une entité qui n’est pas une entité d’intérêt public lorsqu’il existe un risque d’autorévision ou que son indépendance est compromise et que des mesures de sauvegarde appropriées ne peuvent être mises en oeuvre". On peut ajouter à cela le principe de non immixtion dans la gestion de l'entité auditée qui est prévue à l'actuel article L 823-10 du code de commerce.

 

Séparation de l'audit et du conseil pour les entités qui ne sont pas d'intérêt public : ce qui change
Ce que dit le droit français aujourd'hui (voir les articles L 822-11 du code de commerce et le code de déontologie des commissaires aux comptes)

Principaux principes que doit respecter le commissaire aux comptes à l'égard de l'entité auditée :

- indépendance

- absence d'auto-révision

- non immixtion dans la gestion

Services systématiquement interdits au commissaire aux comptes ainsi qu'aux membres de son réseau :

► La comptabilité et la préparation de registres comptables et d'états financiers ;

► Services juridiques ayant trait à : i) la fourniture de conseils généraux ; ii) la négociation au nom de l'entité contrôlée ; et iii) l'exercice d'un rôle de défenseur dans le cadre de la résolution d'un litige

► Certains services fiscaux (sauf cas particulier) tels que : conseil, établissement de déclarations fiscales, assistance lors de contrôles fiscaux, calcul d'impôt direct et indirect, etc

► Les services qui supposent d'être associé à la gestion ou à la prise de décision de l'entité contrôlée ;

► Les services de paie ;

► La promotion, le commerce ou la souscription de parts de l'entité contrôlée ;

► Les services ayant pour objet l'élaboration d'une information ou d'une communication financière ;

► La prestation de conseil en matière juridique ainsi que les services qui ont pour objet la rédaction des actes ou la tenue du secrétariat juridique ;

► Les missions de commissariat aux apports et à la fusion ;

► La prise en charge, même partielle, d'une prestation d'externalisation ;

► Le maniement ou le séquestre de fonds.

Etc.

Ce que prévoit le projet de loi Pacte (source : texte définitivement adopté par le Parlement mais dans l'attente de l'analyse constitutionnelle)

Principaux principes que doit respecter le commissaire aux comptes à l'égard de l'entité auditée  :

- indépendance

- absence d'auto-révision

- non immixtion dans la gestion de l'entité auditée

Plus aucun service ne sera systématiquement interdit — il faudra toutefois analyser l'articulation avec les éventuelles prérogatives d'exercice. Il reviendra au commissaire aux comptes d'analyser la situation eu égard aux risques en matière d'indépendance et/ou d'auto-révision.

 

Toute la question est de savoir comment ces principes essentiels sont (seront)-ils définis ? Le futur article L 820-1-1 du code de commerce fixe le cadre. Il y est précisé que "un commissaire aux comptes peut, en dehors ou dans le cadre d'une mission légale, fournir des services et des attestations, dans le respect des dispositions du présent code [de commerce], de la réglementation européenne et des principes définis par le code de déontologie de la profession". En ce qui concerne la réglementation européenne, il faut se référer à la directive sur le contrôle légal des comptes et en particulier à son article 22 où l'on retrouve les principes d'indépendance, d'absence d'auto-révision et de non immixtion dans la gestion de l'entité auditée. Mais ces principes ne sont pas véritablement définis dans cette directive. Quant à l'actuel code de déontologie, il apporte quelques précisions mais qui, en l'état, laisseraient une marge d'appréciation importante au commissaire aux comptes pour la fourniture de services non audit. Cette situation se comprend dans le contexte actuel où la longue liste de prestations absolument interdites réduit considérablement la place du jugement professionnel.

 

Extraits de l'article 22 de la directive sur le contrôle légal des comptes

"Les États membres veillent à ce que, lors de la réalisation d'un contrôle légal des comptes, le contrôleur légal des comptes ou le cabinet d'audit, ainsi que toute personne physique qui serait en mesure d'influer directement ou indirectement sur le résultat du contrôle légal des comptes, soit indépendant de l'entité contrôlée et ne soit pas associé au processus décisionnel de l'entité contrôlée.

[...]

Le contrôleur légal des comptes ou le cabinet d'audit n'effectue pas un contrôle légal des comptes s'il existe un risque d'autorévision, d'intérêt personnel, de représentation, de familiarité ou d'intimidation lié à une relation financière, personnelle, d'affaires, d'emploi ou autre entre :
— le contrôleur légal des comptes, le cabinet d'audit, son réseau et toute personne physique en mesure d'influer sur le résultat du contrôle légal des comptes, et

— l'entité contrôlée,
qui amènerait un tiers objectif, raisonnable et informé à conclure, en tenant compte des mesures de sauvegarde appliquées, que l'indépendance du contrôleur légal des comptes ou du cabinet d'audit est compromise."

 

Demain, quels — nouveaux — services non audit le commissaire aux comptes d'une entité qui n'est pas d'intérêt public pourrait-il être autorisé à fournir ? Nous faisons l'hypothèse que le nouveau cadre va se rapprocher du code d'éthique "international" des comptables élaboré par Iesba (international ethics standards board for accountants) bien que celui-ci relève du droit mou et ne soit donc pas juridiquement obligatoire. Pour quelles raisons ? Premièrement, parce que la distinction entre services non audit autorisés et interdits selon qu'ils se destinent aux entités qui ne sont pas d'intérêt public ou aux entités qui sont d'intérêt public est présente dans ce code Iesba (ainsi que dans la réglementation européenne qui s'en inspire). Deuxième raison plus générale : la France se rapproche de plus en plus, dans le domaine de la comptabilité et de l'audit, des exigences minimum du droit européen et du cadre "international" tel que le code d'éthique Iesba.

Le code d'éthique "international" Iesba est implicitement agréé pour l'audit financier par les experts-comptables

Bien évidemment, la remontée des seuils d'audit légal constitue un exemple frappant  de cette tendance même s'il reste des sujets de surtranspositon en matière d'audit et de comptabilité. Il existe un autre exemple important dont on parle peu, celui de l'audit financier par les experts-comptables. Il se trouve que le cadre homologué en France — pour les experts-comptables donc — s'appuie sur le code d'éthique Iesba. Tant la norme Isa 200 (objectifs généraux de l'auditeur indépendant et conduite d'un audit selon les normes internationales d'audit) agréée pour les experts-comptables que celle relative à l'audit d'états financiers dans une petite entité, agréée elle aussi pour les experts-comptables, s'appuient, sur le plan déontologique, sur le code Iesba. Et cette nouvelle approche fondée sur une analyse risques/sauvegarde est très présente dans ce même code.

Le code Iesba favorise les moyens et grands cabinets

Alors, que dit ce code "international" ? Il fixe plusieurs principes dont celui de l'indépendance de l'auditeur par rapport à l'entité auditée. Il fournit ensuite une grille d'analyse par famille de services non audit (lire notre article). On y voit par exemple que les services comptables (préparation des enregistrements comptables et des états financiers, enregistrement des transactions, services de paie, etc.) ne sont pas strictement interdits d'être fournis par l'auditeur externe (qui peut être un expert-comptable ou un commissaire aux comptes) d'une entité qui n'est pas d'intérêt public. Lorsqu'ils sont de nature routinière ou mécanique, ils peuvent être délivrés par le professionnel à la condition que l'éventuelle menace d'auto-révision soit traitée, par exemple en faisant réaliser le service non audit par des professionnels qui ne sont pas membres de l'équipe d'audit. On retrouve d'ailleurs souvent cette solution de traiter l'éventuelle menace d'auto-révision par le recours, pour le service non audit, à une équipe qui n'est pas celle d'audit.

La barrière théorique de la prérogative d'exercice comptable

On l'a compris, cette approche est à la portée des réseaux voire même des moyens et grands cabinets qui peuvent séparer les équipes d'audit et de non audit. Cela fait d'ailleurs penser à une autre nouveauté présente dans la projet de loi Pacte. Aujourd'hui, la liste des services que le commissaire aux comptes d'une entité qui n'est pas d'intérêt public n'a pas le droit de fournir s'étend aux membres de son réseau (voir le III de l'article L 822-11 du code de commerce). Or, ces membres ne sont plus mentionnés pour ces mêmes entités dans le futur III de l'article L 822-11. La seule barrière absolue qui sépare l'audit et le conseil réside peut-être dans les prérogatives d'exercice. Mais en ce qui concerne celle comptable, on sait qu'elle est dores et déjà ébranlée, par la technologie et la jurisprudence. Et l'on peut imaginer un réseau dans lequel un cabinet jouerait le rôle de commissaire aux comptes d'une entité qui n'est pas d'intérêt public tandis qu'un autre cabinet de ce même réseau s'occuperait, pour les tâches routinières ou mécaniques, de la comptabilité et de la paie de cette même entité. Ce schéma semble compatible avec le code "international" d'éthique élaboré par Iesba. Et il fait déjà l'objet d'une sorte d'agrément de l'Ordre des experts-comptables.

 

Retrouvez notre série spéciale Pacte :

Le nouveau périmètre de certification obligatoire des comptes

Quand s'appliqueront les nouveaux seuils de certification légale des comptes ?

Le nouveau contrôle optionnel du commissaire aux comptes

Ce qui change pour les experts-comptables

Les nouvelles obligations déclaratives du chef d'entreprise à l'égard de son conjoint

Ce qui change en matière de RSE pour les entreprises

Camouflage comptable légal en bande organisée

 

Ludovic Arbelet
Ecrit par
Ludovic Arbelet

Commentaires (1)

Avenir | 09/05/2019 - 08:41

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