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[Série spéciale Pacte] Camouflage comptable légal en bande organisée

Le projet de loi Pacte a été adopté définitivement par le Parlement. Nous y consacrons une série. Ce volet porte sur le développement de l'opacité comptable avec notamment l'arrivée prochaine d'un modèle de compte de résultat simplifié pour les moyennes entreprises.

Il y a quelques années, le camouflage des comptes annuels des sociétés françaises constituait une pratique illégale généralisée. Au titre de l'exercice 2013, 42 % des entreprises ne déposaient pas, illégalement donc, leurs états financiers, selon une étude de la commission des lois du Sénat. Soit l'équivalent de 800 000 sociétés. Progressivement, le politique leur a donné l'opportunité d'organiser cette opacité en toute légalité. Le périmètre des informations financières qu'elles doivent publier se réduit même si ces entreprises doivent toujours déposer leurs comptes annuels au greffe du tribunal de commerce — mais l'absence de dépôt reste très faiblement sanctionné.

Ce basculement a pris naissance sous la présidence de François Hollande. Depuis l’exercice comptable 2013, les micro-sociétés peuvent réserver l’accès à leurs comptes annuels à certaines parties prenantes telles que les autorités judiciaires, les autorités administratives et la Banque de France (articles L232-25 et D123-200 du code de commerce) — cette liste a toutefois été étendu aux financiers et aux investisseurs pour les exercices clos à compter du 31 décembre 2015. Cela concerne beaucoup de TPE. Plus précisément, les sociétés qui ne dépassent pas deux des trois seuils suivants : 700 000 euros de chiffre d’affaires, 350 000 euros de bilan, 10 salariés.

Camouflage du compte de résultat des petites sociétés

Ministre de l'économie sous François Hollande, Emmanuel Macron a étendu le secret comptable à davantage d'entreprises. Depuis sa fameuse loi de 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, les petites sociétés peuvent choisir de ne pas rendre publics leur compte de résultat, précisément à en limiter l'accès aux mêmes parties prenantes que celles qui concernent les comptes annuels des micro-sociétés (autorités judiciaires, administratives, investisseurs, etc.). Cela touche les sociétés qui ne sont pas des micro-sociétés et qui ne dépassent pas deux trois seuils suivants : chiffre d’affaires de 8 millions d’euros, bilan de 4 millions d’euros, 50 salariés (articles L232-25 et D123-200 du code de commerce).

Depuis, c'est le gouvernement d'Edouard Philippe qui a offert un autre cadeau à de nombreuses entreprises. Avec la loi Essoc (loi pour un Etat au service d'une société de confiance) promulguée en août 2018, ces mêmes petites sociétés sont presque toutes exemptées de produire un rapport de gestion (voir l'article 232-1 du code de commerce). Et La République en marche veut aller plus loin. Plusieurs nouvelles mesures d'opacité ont été adoptées ou, lorsqu'elles ne nécessitent qu'un décret, "seulement" projetées lors de la discussion parlementaire de la loi Pacte (loi relative à la croissance et la transformation des entreprises) — rappelons que cette loi a été définitivement adoptée par le Parlement mais fait l'objet de recours constitutionnels. Cette dernière situation concerne la confidentialité du compte de résultat et la dispense du rapport de gestion, deux domaines dont les seuils seraient étendus à 12 millions d'euros de chiffre d'affaires et 6 millions d'euros de bilan (le niveau d'effectif resterait fixé à 50 salariés) — à ce sujet, voir notamment l'amendement des députés LREM adopté en première lecture et le rapport de la commission spéciale adoptée par l'Assemblée nationale en seconde lecture même si ce rapport n'aborde pas explicitement le sort du rapport de gestion.

Opacité étendue aux moyennes entreprises

La loi Pacte déroule aussi le tapis rouge aux moyennes sociétés, c'est à dire potentiellement à celles qui ne dépassent pas deux des trois seuils suivants : 40 millions de chiffre d’affaires, 20 millions d’euros de bilan et 250 salariés. Elles vont pouvoir opter pour une présentation simplifiée de leur compte de résultat dans des conditions fixées par l'Autorité des normes comptables (ANC). Même si nous ne savons pas ce que prépare l'ANC, nous connaissons ce qu'elle est en droit de concocter en raison de l'espace que lui laisse la directive comptable de 2013 (voir l'article 14). En gros, il est possible de noyer le chiffre d'affaires sous un poste agrégé appelé Résultat brut. Et ce n'est pas tout. Ces même sociétés moyennes pourront choisir une publication simplifiée de leur bilan même si la production de ce document ne pourra quant à elle pas être simplifiée. Là encore, il revient à l'ANC de fixer le modèle qui pourrait ne pas détailler certains postes. Bref, le président François Hollande a mis en marche l'opacité comptable des sociétés. Le président Emmanuel Macron passe à la vitesse accélérée.

 

Les nouvelles mesures de confidentialité comptable adoptées ou projetées (*)
Catégorie d'entreprise Dispositif concerné Dispositif actuel Dispositif adopté ou projeté
Petites sociétés Confidentialité du compte de résultat (accès réservé à certaines parties prenantes) Cette mesure concerne les entreprises qui ne sont pas des micro-entreprises et qui ne dépassent pas deux des seuils suivants : chiffre d'affaires de 8 millions d'euros, bilan de 4 millions d'euros, 50 salariés Le périmètre des entreprises concernées serait étendu (via un décret) aux seuils suivants : chiffre d'affaires de 12 millions d'euros et bilan de 6 millions d'euros (effectif salarié inchangé)
Dispense d'établissement du rapport de gestion Cette mesure concerne les entreprises qui ne sont pas des micro-entreprises et qui ne dépassent pas deux des seuils suivants : chiffre d'affaires de 8 millions d'euros, bilan de 4 millions d'euros, 50 salariés Le périmètre des entreprises concernées serait étendu (via un décret) aux seuils suivants : chiffre d'affaires de 12 millions d'euros et bilan de 6 millions d'euros (effectif salarié inchangé)
Moyennes sociétés Présentation simplifiée du compte de résultat Aucun Sont concernées les entreprises qui ne sont ni des micro-entreprises ni des petites entreprises et qui ne dépassent pas deux des seuils suivants (à fixer par décret) : chiffre d'affaires de 40 millions d'euros, bilan de 20 millions d'euros, 250 salariés. Le (s) modèle (s) de compte de résultat simplifié doit être défini par l'autorité des normes comptables (dans les limites de la directive comptable).
Publication simplifiée du bilan et de l'annexe Aucun Sont concernées les entreprises qui ne sont ni des micro-entreprises ni des petites entreprises et qui ne dépassent pas deux des seuils suivants (à fixer par décret) : chiffre d'affaires de 40 millions d'euros, bilan de 20 millions d'euros, 250 salariés. Les modèles de bilan et d'annexe simplifiés doivent être définis par l'autorité des normes comptables (dans les limites de la directive comptable).

(*) Sources : projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises (Pacte) définitivement adopté (cette loi fait néanmoins l'objet de recours constitutionnels). Les seuils visés relèvent toutefois d'un décret et les modèles simplifiés de compte de résultat et de bilan pour les moyennes entreprises devront être définis par l'autorité des normes comptables (ANC).

 

Retrouvez notre série spéciale Pacte :

Le nouveau périmètre de certification obligatoire des comptes

Quand s'appliqueront les nouveaux seuils de certification légale des comptes ?

Le nouveau contrôle optionnel du commissaire aux comptes

Ce qui change pour les experts-comptables

Les nouvelles obligations déclaratives du chef d'entreprise à l'égard de son conjoint

Ce qui change en matière de RSE pour les entreprises

 

Ludovic Arbelet
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Ludovic Arbelet