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IS : les grandes entreprises françaises sont-elles vraiment avantagées par rapport aux PME ?

Une nouvelle étude montre qu'un écart subsiste en France dans le taux implicite d’imposition des bénéfices selon la taille des sociétés. Mais il a beaucoup diminué notamment du fait de l'évolution du poids des charges financières. Toutefois, cette tendance masque peut-être l'appétence des grandes entreprises pour optimiser l'impôt via des filiales à l'étranger.

En plein débat national, notamment sur la fiscalité, voilà une étude qui donne du grain à moudre. Réalisée par l’institut des politiques publiques, elle montre que le poids implicite de l’IS est de moins en moins une question de taille d'entreprise même si des écarts subsistent selon les catégories. Cela vient relativiser une note du Trésor, publiée en 2011 mais basée sur les données de 2007, qui faisait apparaître des écarts conséquents dans le taux implicite d’imposition des bénéfices des sociétés (rapport entre l’IS et l’excédent net d’exploitation). En 2007, ce taux variait de 21 points entre les PME et les grandes entreprises (au détriment des PME) ou de 10 points selon que l'on intègre ou non les entreprises déficitaires ainsi que les reports de déficits, comme le montre le graphique ci-dessous.

Source : note du Trésor (juin 2011). Champ : sociétés non financières. Le taux implicite d'imposition est égal au rapport IS /Excédent net d'exploitation.

Des écarts qui s’estompent, voire qui disparaissent, entre 2005 et 2015

Publiée avant-hier, l'étude de l’institut des politiques publiques analyse, entre 2005 et 2015, les taux d’imposition implicites des profits des redevables résidents en France et soumis à l’impôt sur les sociétés. Elle montre que, dans deux des trois méthodes retenues, qui s’appuient toutefois toujours sur le rapport impôt sur les sociétés/excédent net d’exploitation, des écarts de taux subsistent selon la taille de l’entreprise. Mais, et c'est l'un des principaux enseignements, ils sont de moins en moins importants. L’avantage des grandes entreprises sur les PME passe de 17,7 points à 5,9 points entre 2005 et 2015 quand on raisonne sur la base de l’IS brut (c’est-à-dire avant crédits d’impôt et autres créances fiscales) avant report (en avant et en arrière) des déficits (voir le graphique ci-dessous). Cet écart diminue aussi beaucoup sur cette période quand l’IS brut est déterminé après report des déficits.

Le taux implicite de l'IS brut avant report des déficits selon la taille de l'entreprise

Source : Institut des politiques publiques (L'hétérogénéité des taux d'imposition implicites des profits en France : constats et facteurs explicatifs) / actuel-expert-comptable. L'IS brut correspond ici à l'IS avant report des déficits et crédits d'impôt et autres créances fiscales. Le taux implicite d'IS brut est égal à l'IS brut / excédent net d'exploitation. Seules les sociétés bénéficiaires sont intégrées dans cet échantillon.

Un autre enseignement peut surprendre, celui selon lequel il n’y a quasiment plus d’écart en 2015 selon les tailles de sociétés quand on raisonne sur la base de l’IS net déclaré (variable déclarée dans le compte de résultat des sociétés, ligne HK du formulaire 2058-A). Toutefois, cet indicateur "est à interpréter avec prudence puisqu'il résulte de la somme des montants d'IS déclarés dans le compte de résultat des liasses de chaque société et ne prend dès lors pas en compte les mécanismes de l'intégration fiscale", avancent les auteurs de l'étude.

Le taux implicite de l'IS net déclaré selon la taille de l'entreprise

Source : Institut des politiques publiques (L'hétérogénéité des taux d'imposition implicites des profits en France : constats et facteurs explicatifs) / actuel-expert-comptable. L'IS net déclaré correspond à l'IS brut après report des déficits diminué des crédits d'impôt et autres créances fiscales (variable déclarée dans le compte de résultat des sociétés, ligne HK du formulaire 2058-A). Le taux implicite d'IS net déclaré est égal à l'IS net déclaré / excédent net d'exploitation. Seules les sociétés bénéficiaires sont intégrées dans cet échantillon.

Effet de la baisse du poids des charges financières

Comment expliquer cette convergence partielle — voire quasi-totale dans un scénario — du taux d'IS implicite entre les différentes tailles de sociétés ? Les auteurs de l’étude avancent comme principal argument la diminution du poids des charges financières qui a davantage affecté les grandes entreprises que les autres. Cela peut s’expliquer par deux raisons : une baisse des taux d’intérêt amorcée en 2007 et une limitation de la déductibilité des charges financières liée à la loi de finances pour 2013. Mais cette convergence partielle est peut être affectée par l'optimisation fiscale plus importante des grandes entreprises en raison de transactions internationales intra-groupes. "Il est possible que la comparaison grande entreprise / PME soit en partie biaisie par le fait que les grandes entreprises, qui tendent à disposer de filiales à l'étranger, soient en moyenne plus en mesure de réduire leur ENE par le biais des prix de transfert. Ceci tendrait à pousser artificiellement à la hausse leur taux implicite", avancent les auteurs de l'étude. Cette tendance au rapprochement des taux d’imposition implicites des bénéfices des sociétés avait également été constatée en 2017 par le conseil des prélèvements obligatoires (CPO) sur la période 2009-2014. Ce dernier s’était lui aussi basé sur l’excédent net d’exploitation des sociétés. Autre point commun entre ces deux études, un échantillon limité aux sociétés bénéficiaires (en termes d’ENE). Or, la note de 2011 du Trésor montrait — rappelons-le, sur la base des données de 2007 — que les grandes entreprises profitaient de l’effet combiné des entreprises déficitaires et du report des déficits. Les PME, quant à elles, en pâtissaient.

Ludovic Arbelet
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Ludovic Arbelet